Loos-en Gohelle, territoire en reconversion durable
Après 180 ans d’exploitation minière ultra-polluante, Loos-en-Gohelle (Nord-Pas-de-Calais) cherche à tourner la page de son passé industriel sans pour autant le renier et mise sur le développement durable pour relancer l’activité. Un pari en passe d’être relevé : le bassin minier est devenu en juillet 2012 Patrimoine Mondial de l’Unesco au titre de paysage culturel évolutif et le site du 11/19 fait figure d’étendard de l’économie verte…
Quand on arrive à Loos-en Gohelle, ville de quelques 7000 âmes au cœur du bassin minier dans le Nord-Pas-de-Calais, à quelques kilomètres de Lens, rien de visible n’illustre l’ambitieux programme de reconversion économique autour du « durable » orchestré par la municipalité depuis une quinzaine d’années. Et pour cause, les rues sont bien vides pour un après-midi de mars ensoleillé (contre toute attente), peu de cyclistes ont pris possession de leurs vélos pour se déplacer, les quelques passants interrogés semblent dubitatifs sur le terme de « développement durable » et partout, la voiture règne en maître…
Pour découvrir le nouveau visage de cette ville traumatisée par son passé industriel (elle a été entièrement détruite pendant la première Guerre Mondiale et garde de lourdes séquelles environnementales de l’exploitation minière), il faut quitter le « centre-ville », rouler quelques kilomètres, longer les champs et les maisons en brique et se diriger vers la « Base 11/19 », foyer de l’activité minière où se dressent les deux terrils les plus hauts d’Europe (186 mètres) : le site est depuis devenu, depuis la fermeture du dernier puits en 1986, un pôle de compétitivité des éco-entreprises ainsi qu’un lieu de détente et de sport, résultat de la politique menée par l’actuel maire de la ville, Jean-François Caron (Europe Ecologie Les Verts).
Un élu vert au pays des gueules noires…
Avant de devenir l’étendard de la reconversion économique, le 11/19 a pourtant longtemps fait figure de stigmate de la crise. L’arrêt de l’activité minière à la fin des années 1980 et le déclin de l’industrie sur tout le territoire y ont laissé de lourdes séquelles sociales et environnementales. L’affaissement des sols, leur pollution et la piètre qualité de l’eau ont aggravé le traumatisme des fermetures d’usines en privant longtemps Loos-en-Gohelle des moyens financiers nécessaires à une vaste reconversion du site. C’est pour tirer profit du négatif que la municipalité a amorcé depuis 2001 et l’élection de Jean-François Caron un véritable tournant dans les représentations et les activités.
« Ce territoire a été meurtri par un développement non durable » explique l’élu. D’où son idée fixe : réparer les séquelles du passé en engageant le territoire dans une politique de développement durable déclinée sur un très large éventail d’actions : développement de l’agriculture biologique, création d’une ceinture verte, développement d’éco-entreprises, ateliers citoyens, etc. Une stratégie payante si l’on en croit le résultat-plébiscite de Jean-François Caron aux municipales en 2008 (il a été réélu à près de 82 % des suffrages) et la légion d’honneur qui lui a été remise par Cécile Duflot le mois dernier.
L’élaboration des différents chantiers n’est pourtant pas allée sans difficultés, dont la principale est d’ordre financier : à Loos-en-Gohelle, plus de la moitié des foyers fiscaux ne paye pas l’impôt sur le revenu et le taux de chômage est légèrement supérieur à la moyenne nationale avec un taux de 13,2% en 2007. Majoritairement, les budgets proviennent du Conseil régional, de fonds européens, de l’ADEME et de l’Etat. « Montrer que l’on peut faire tout ça avec de faibles moyens, cela a un pouvoir de démonstration énorme », assure le maire.
La Base 11/19, totem de la reconversion
A partir de 1998, le 11/19 a bénéficié de nombreux travaux de réhabilitation pour accueillir des entreprises d’avenir et abrite désormais plus d’une centaine d’emplois. Le Centre de Ressources du Développement Durable (CERDD) mais aussi Culture Commune, une structure destinée à favoriser la création théâtrale, y ont pris progressivement leurs quartiers en lieu et place des anciens bâtiments industriels. En 2002, sous l’impulsion de Jean-François Caron, le Centre de Création et de Développement des Eco-Entreprises (cd2e) y a aussi été lancé. Cet outil régional d’animation économique dans le secteur de l’environnement a pour vocation de promouvoir et d’aider les éco-entreprises de la région : « Le cd2e fut l’une des premières structures mises en place dans le but de soutenir les entreprises du secteur de l’environnement (recyclage, énergies renouvelables, éco-matériaux pour la rénovation, traitement de l’eau…), explique Christian Traisnel, directeur du centre. Notre ambition est qu’à terme la filière des éco-activités devienne la première industrie en région Nord-Pas-de-Calais ». Aujourd’hui, le centre appuie près de 600 éco-entreprises (18.000 emplois) implantées dans la région. Pas d’objectifs précis sont annoncés. Seule volonté affichée : Augmenter la part des activités avec l’accent mis sur les entreprises d’ingénierie aux métiers à forte valeur ajoutée.
A quelques dizaine de mètres du cd2e, une plateforme solaire a été installée. Il s’agit d’un site de démonstration et d’expérimentation des technologies solaires dernier cri avec des relevés de la puissance produite toutes les 10 minutes. Un site-test permettant des recherches pour l’alimentation d’un écoquartier grâce aux énergies renouvelables. Le contraste est fort avec les maisons ouvrières qui jouxtent ces objets de haute technologie….
Eco-construction et rénovation
Sous l’impulsion du cd2e, la ville de Loos s’est engagée dans une démarche d’application des principes de la Haute Qualité Environnementale (HQE) et a développé quelques programmes « vitrines ». Depuis 1997, 82 logements ont ainsi été éco-construits. Parmi eux, les six maisons à haute performance énergétique de VillAvenir : construites en 2008-2009, deux d’entre elles sont en maçonnerie, deux en bois et deux en acier. La ville devrait aussi se doter prochainement d’un écoquartier réalisé à partir de trois cités (5, Belgique et Bellevue) excentrées et de la réhabilitation d’une ancienne friche minière avec en ligne de mire plus de 600 logements créés sur une quinzaine d’années.
La réhabilitation du bâti existant n’est pas en reste. « L’actuel théâtre de l’éco-construction sur la base 11/19 devrait servir de base pour le programme de réhabilitation de 100.000 logements d’ici 5 ans dans la région Nord-Pas-de-Calais, dans la cadre du programme national de rénovation thermique de l’habitat lancé par l’Etat, souligne Christian Traisnel du Cd2e qui chapeaute la structure. Un objectif que l’on aimerait atteindre avec un rythme de 4000 à 5000 rénovations par an ». Territoire façonné par la brique, le bassin minier présente des enjeux thermiques particulièrement délicats à relever, ce matériau proposant une faible inertie.
Loisirs et biodiversité
Depuis 2008 et la modification du code minier (qui a permis l’ouverture au public sans autorisation préalable), la Base 11/19 a connu une véritable évolution utilitaire et symbolique avec la mise en place de nombreux aménagements sécuritaires, devenant un site de sport et de loisirs. Les terrils sont ainsi devenus le terrain de jeux de l’association les Caribous des Terrils, qui promeut la marche nordique et qui regroupe une cinquantaine de marcheurs. « Marcher sur le terril, cela participe à la réappropriation du patrimoine par les habitants qui le considère autrement», estime Valérie Caron, coach sportif de l’association Les Caribous.
Désormais, sur les terrils, on croise des cyclistes, des randonneurs, des collégiens en visite scolaire. Depuis l’arrêt des mines, la nature reprend ainsi progressivement ses droits. La Chaine des Terrils, accompagne les groupes et effectue des inventaires de la faune et de la flore locale. Les terrils sont en effet des viviers de biodiversité avec des espèces exceptionnelles et rares comme des orchidées sauvages. Certains espèces animales sont mêmes revenues peupler ce milieu…Et Patrick Offe, guide sur les terrils de s’inquiéter : « Avec près de 25.000 personnes qui viennent chaque année, sans compter le public individuel, on peut s’interroger sur la sur-fréquentation à terme d’un milieu fragile. » Preuve que le travail de valorisation à bien commencer : le symbole de l’exploitation, autrefois déconsidéré est désormais perçu comme un patrimoine à préserver…
Loos-en-Gohelle, bientôt une marque ?
L’inscription du bassin minier au patrimoine mondial de l’Unesco n’y est pas pour rien : cette « thérapie collective de réappropriation du patrimoine » selon l’expression de Jean-François Caron a permis de faire évoluer les représentations du territoire. Désormais, Loos-en-Gohelle souhaite attirer les habitants et surtout les entrepreneurs grâce à sa nouvelle image de ville innovante, porteuse de reconversion positive et de développement durable : « des entreprises viennent nous voir parce que l’on fait figure de ville innovante qui implique les habitants et les acteurs, estime le maire. Nous avons réussi à transformer de façon considérable la perception de Loos. »
Et du territoire tout entier, semble-t-il. Ainsi, celui qui a porté le projet de l’inscription du bassin minier comme patrimoine mondial auprès de l’Unesco a accueilli avec enthousiasme l’ouverture du Louvre à Lens en décembre 2012. Avec ses quelques 100.000 visiteurs, celui-ci vient à point nommer appuyer la mutation du territoire vers le tertiaire, les services et le numérique…
Déborah Antoinat