Le jardinage, créateur de liens sociaux dans les « quartiers »
Contrairement aux idées reçues, les jardins collectifs ne sont pas une lubie « bobo » venue des beaux quartiers mais une activité à part entière dans les quartiers dits « populaires », où ils sont un véritable vecteur de lien social.
« Moussa, la patate, on la plante aujourd’hui ? ». En cette matinée ensoleillée du mois d’avril, les jardiniers du Parc de Monlong, tout près des quartiers de Bellefontaine à Toulouse se sont réunis autour d’un thé à la menthe et s’apprêtent à planter légumes d’été et gousses d’ail. Créé en 2007, ce jardin se développe plus particulièrement à partir de 2009 et regroupe des jardins familiaux (61 Parcelles individuelles de 100m2) et des jardins partagés (3 parcelles de jardinage collectif (1400m2) pour les habitants des quartiers. L’ensemble est géré par des associations du quartier Bellefontaine et du Mirail. « Les jardiniers réguliers, ce sont 5 ou 6 personnes mais au total, près de 30 ou 40 habitants viennent chaque mois au jardin, explique Fatima Admane, animatrice « lien social » de l’association Graine de Monlong de la Régie de quartier Bellefontaine. « Les motivations ? Pour certains, ce sera une façon de décompresser, pour d’autres, de partager les savoirs et aussi de faire des rencontres…Les jardins fédèrent énormément et offrent une grande diversité de rencontres. Il y a beaucoup de cultures différentes dans les quartiers, c’est l’occasion d’échanger sur les us et coutumes, sur l’art culinaire, sur les vertus de certaines plantes ». L’association d’insertion pour les femmes du quartier de la Reynerie vient également le mercredi matin au jardin de Monlong : « femmes au foyer, divorcées, retraités les femmes de l’association Mosaïka viennent aux ateliers jardinage car elles ont besoin de changement, casser la routine et briser le sentiment d’isolement », affirme l’animatrice de cette association, Djamila Reziga.
Apprentissage de la démocratie
Des échanges entre jardins sont également organisés. Ce mercredi, à Monlong, les jardiniers du Jardin des 4 vents de Jolimont se sont déplacés. « On souhaite créer des liens, échanger nos savoirs, savoir quoi planter et à quelle saison. Le jardinage est presque un prétexte pour avoir des liens sociaux et limiter le sentiment d’isolement que l’on peut ressentir parfois. On fait aussi des sorties cinéma, des expos », raconte Gérard du Jardin des 4 vents. « Les jardins, cela va au-delà de planter quelques radis, c’est aussi une manière d’apprendre à travailler ensemble », surenchérit Laurence Jimeno, assistance sociale du Centre sociale Mairie/Caf de Jolimont.
Pour le projet de jardin partagé de Jolimont, l’impulsion est venue des habitants eux-mêmes, qui ont mis en place des réunions avant de présenter leur dossier auprès des institutions. Ce type d’initiatives est aussi l’occasion d’une forme d’apprentissage de la démocratie, avec des réunions, des votes et des décisions collectives à prendre. D’autres jardins, comme le jardin en pied d’immeuble « Jardin de l’Amitié du Tintoret » livré en juin 2012, à quelques mètres du jardin de Monlong, naissent suite à une volonté municipale. Initialement pensé pour être un jardin partagé, le projet a été modifié pour répondre à la volonté des habitants qui souhaitaient plutôt des jardins de type familial avec des parcelles individuelles. Le compromis s’est fait avec la mise en place d’un espace à jardiner collectivement en plus des parcelles individuelles. « Les jardins dits en pied d’immeuble qui s’associent principalement au modèle des jardins familiaux sont une tendance de fond qui croît fortement depuis le début des années 2000. Les jardins familiaux viennent repeupler des espaces vides. L’individualisation des jardins est d’autant plus forte dans le sud de la France, même si cela n’empêche pas les pratiques collectives », explique Jean-Noël Consalès, urbaniste, géographe et maitre de conférences à l’Institut d’Urbanisme et d’Aménagement régional de Marseille. Leur présence est également un moyen de requalifier l’espace. « Quand cela est fait de manière qualitative, les jardins partagés amènent de la valeur ajoutée aux quartiers d’habitat social en requalifiant les délaissés non entretenus. Les habitants créent alors du paysage en plantant des fleurs et des plantes, les jardins favorisent la sociabilité et créent une dynamique assez intéressante ».
Des frontières de plus en plus poreuses
Les jardins familiaux trouvent leurs racines dans les anciens jardins ouvriers de la fin du XIXème siècle. Impulsés aussi bien par le mouvement catholique que par l’urbanisme hygiéniste pour répondre aux problèmes sociaux de l’époque, ils ont alors une fonction nourricière. Les premiers jardins bénéficient de grandes superficies et s’implantent dans la banlieue agricole. L’explosion urbaine les « engloutit » progressivement et les jardins se retrouvent progressivement au cœur de la ville dans les quartiers « populaires ».
Nés en opposition à ce premier modèle, les jardins partagés ont une histoire plus récente, plus politique. Ils sont issus du mouvement de la « Green Guerilla » et des «Community gardens» (jardins communautaires) qui naissent à New York dans les années 1970 et investissent les délaissées urbains et les « dents creuses » dans un contexte de crise urbaine et financière. Le mouvement se propage au Canada, en Europe et en France à partir de la deuxième moitié des années 1990. En 2011, une estimation “à la louche” lançait le nombre de 400 jardins partagés en France, selon le Collectif National Jardin dans Tous Ses Etats.
« Désormais, ce qui distingue les jardins familiaux et les jardins partagés, ce n’est plus l’idéologie mais davantage la réalité foncière c'est-à-dire la surface disponible lors de la création d’un jardin, assure Jean-Noël Consalès. Si les jardins partagés s’implantent davantage dans une ville dense, ils sont autant présents dans les quartiers populaires que favorisés. La critique faite aux jardins partagés d’être cantonnés aux quartiers favorisés ne reflète pas forcément la réalité. Toutefois, il est clair qu’aujourd’hui, les jardins sont la « tarte à la crème » de l’aménagement. Il est fondamental qu’il y ait une réflexion, une structuration en amont et un suivi pour que les jardins fonctionnent. » Et l’urbaniste de souligner le danger d’inclure de facto un jardin partagé dans tous les projets d’éco-quartiers qui sortent de terre, rappelant que « ce sont les jardiniers qui font les jardins et non l’inverse ».
Déborah Antoinat