De quelle agriculture urbaine « Parisculteurs » est-il le nom ?
Le 3 novembre dernier, la Mairie de Paris annonçait les résultats du premier volet de l’appel à projet Parisculteurs, dont l’objectif est de transformer 5,5 hectares de parcelles en espaces verts cultivés d’ici fin 2017. Parmi les 33 lauréats, domine une large proportion de projets « hors sol ». De quoi questionner les formes et les finalités de l’agriculture urbaine dans la capitale.
L’objectif est connu depuis le lancement du projet, au printemps dernier : 100 Ha d’ici 2020. Avec l’opération « Parisculteurs », la mairie de Paris entend développer la végétalisation des toits, des murs et des façades de la capitale, dont une partie devra produire fruits et légumes. Une manière de prendre le tournant de l’agriculture urbaine, cette « petite révolution culturelle et culturale » selon les termes de Pénélope Komites, l’adjointe en charge du projet à la Ville de Paris.
Avec plus de 140 candidatures déposées par 69 structures différentes, l’intérêt suscité par ce premier appel à projet, dont les résultats ont été dévoilés début novembre, se veut à la hauteur des ambitions de l’élue : « les ‘‘Parisculteurs’’ vont représenter ce que toutes les autres métropoles feront en matière d’agriculture urbaine dans les 20 prochaines années ». Un coup d’avance pour mieux rattraper le retard en la matière, relativise Laurence Baudelet, coordinatrice de Graine de jardins, association qui accompagne les projets de jardins partagés en Ile-de-France : « Paris s’affiche dans une compétition internationale avec Montréal et New-York qui sont bien plus avancées sur le sujet. C’est du marketing territorial ».
De fait, certains des projets retenus ne manquent pas de clinquant. En tête d’affiche, le projet de ferme maraîchère, doublée d’une houblonnière, sur le toit de l’Opéra Bastille : sur près de 5 000 m2 de surface en terrasse, le lauréat Topager s’est ainsi engagé à produire plus de 5 500 kg/an de plantes aromatiques, jeunes pousses et légumes ainsi que 500 kg de houblon. Histoire de pouvoir bientôt apprécier Verdi en sirotant une bière « locale » – à moins que cela ne devienne l’inverse.
Intitulé « la Brize de la Bastille », ce projet est représentatif de la tendance qui a fortement prédominé pour cette première édition des Parisculteurs. Sur les 33 sites retenus représentant une surface de 5,5 Ha, 29 le sont en toiture-terrasse. Auxquels s’ajoutent 2 900 m2 de sous-sol d’un parking dans le 18ème arrondissement destinés à de l’hydroponie, avec un système de maraîchage sur compost et sous LED ainsi que de la culture verticale. Soit une proportion écrasante de projets dits « hors-sol », pour seulement deux projets en pleine terre.
L’agriculture urbaine : levier d’une meilleure qualité de vie ou simple marché ?
« C’est un drôle de message, souligne Antoine Lagneau, spécialiste de l’agriculture urbaine et auteur d’une note d’analyse récente sur le sujet. Concentrer l’agriculture urbaine sur les toits ne peut pas être une solution à long terme ». En l’occurrence, elle servirait presque alors de prétexte au schéma d’urbanisation actuel. Une crainte que partage Laurence Baudelet : « Comme si on pouvait continuer à bâtir au sol puisqu’on restitue ensuite en toiture ! Hidalgo a raison de s’attaquer à l’agriculture urbaine, mais elle ne le fait pas par le bon bout. L’enjeu essentiel, c’est de redonner à cette ville hyper-dense les espaces verts dont elle manque cruellement ».
Les commanditaires politiques revendiquent, eux, un autre enjeu : « L’objet du projet, ce n’est pas les jardins partagés, c’est de montrer qu’on peut faire de l’économie avec l’agriculture urbaine et que c’est viable » rapporte un responsable de l’assistance à maîtrise d’ouvrage, persuadé que cela permettra d’« ouvrir une nouvelle ère de la perception du végétal chez les citoyens ». Une orientation qui a ouvert la voie à de multiples start-up et leur cortège de nouvelles technologies, pour le plus grand bonheur de Pénélope Komites : « Je suis très contente qu’il y ait des projets d’aquaponie, il fallait montrer qu’on peut développer toutes les technologies existantes, les traditionnelles comme les nouvelles ».
Conséquence : la plupart des associations connues pour faire de l’agriculture urbaine un outil du vivre-ensemble n’y participe pas. « Notre modèle économique ne correspondait pas vraiment », dit Sébastien Goelzer, responsable de Vergers urbains qui avait candidaté sur trois sites différents. « De toute façon, l’argument écolo n’a jamais été mis en avant, corrobore sa collègue. Pour autant, le modèle économique du toit-terrasse est loin d’être assuré, il fonctionne pour l’heure essentiellement sur des cibles de luxe… ».
Une deuxième édition des Parisculteurs devrait voir le jour en 2017, au moment où les fruits des premiers sites commenceront à mûrir. Elle sera scrutée attentivement, selon Antoine Lagneau : « On verra alors si la Mairie de Paris confirme ce choix d’inscrire l’agriculture urbaine dans une approche marchande et ‘‘new-tech’’ plutôt que dans les valeurs de lien social que porte le mouvement associatif depuis plusieurs années déjà ».