« La baignade urbaine est un étendard de la transition vers des villes plus durables »

« La baignade urbaine est un étendard de la transition vers des villes plus durables »

Lors de la récente canicule, on les a vus plonger et nager dans le bassin de la Villette, mais aussi relayer sur Facebook les initiatives qui, à travers le monde, ménagent un meilleur accès des citadins à l’eau. Que cherchent à produire les membres du Laboratoire des baignades urbaines expérimentales en se jetant ainsi à l’eau ? Rencontre avec Pierre Mallet, étudiant en urbanisme et cofondateur du collectif.  

 

Pouvez-vous présenter le Laboratoire des baignades urbaines expérimentales ?

PM. Au départ, j’avais créé une page Facebook, « L’urbanité pour les nuls », dont le propos était de recenser des projets de réappropriation de l’espace public ou proposant une approche plus créative de la fabrique urbaine. Le laboratoire des baignades urbaines expérimentales, qui en reprend l’idée de veille, de « benchmark », a été créé en 2012, dans le sillage d’un voyage en Hollande et en Belgique avec deux amis. Là, nous avons découvert une proximité à l’eau qui n’existe pas dans les villes françaises. Cette découverte faisait écho à un mouvement plus large dans d’urbanisme, où la question de la réappropriation citoyenne de certains espaces délaissés et des usages à y développer s’imposait peu à peu comme cruciale pour nous. Aussi, les réalisations de quelques collectifs, comme celles du collectif Exyzt à Londres ou à Vitrolles, nous ont particulièrement inspirés, et nous ont donné envie de montrer que urbain et baignade peuvent se marier parfaitement.

Les usages de l’eau vont de la pêche à la navigation. Pourquoi avoir choisi de mettre l’accent sur la baignade ?

PM. On pense que les usages de l’eau sont en effet tous liés, mais la baignade est le seul qui nécessite un contact direct et entier à l’eau. C’est en cela qu’il est plus fort et plus révélateur que la pêche ou le bateau par exemple, car il implique un rapport totalement renouvelé entre corps et nature. Autrement dit, tu peux faire du bateau ou pêcher dans des endroits particulièrement pollués, alors que tu ne peux pas en dire autant pour la baignade.

Quel est l’objectif du Laboratoire ?

PM. Il est double. Nous voulons premièrement remettre les usages liés à l’eau dans la focale des aménageurs et des urbanistes. L’accès à l’eau a le pouvoir de rassembler les gens et de rendre un espace vivant. Or, aujourd’hui, la plupart des projets d’urbanisme traitent encore l’eau comme simple élément du paysage. Notre vocation est de montrer qu’il est possible de faire autrement et que beaucoup de villes le font déjà ! Nous espérons aussi à travers nos actions que les citoyens se ré-approprient cette idée de droit à la baignade et que cette revendication oblige les pouvoirs publics à agir.

Justement, quelles sont les villes exemplaires en ce domaine ?

Beaucoup de projets voient le jour partout en Europe. En Suisse, il est possible de se baigner partout, à Zurich ou Genève mais aussi à Bâle, où la descente du Rhin en se laissant porter par le courant offre un point de vue insolite sur la ville. À Copenhague, 5 bassins ont été aménagés récemment sur un canal dans un ancien quartier industriel. La municipalité a fait beaucoup d’efforts pour assainir l’eau, et la baignade est devenue l’un des symboles de la reconversion réussie du quartier. À Londres, les projets sont multiples et démontrent le dynamisme de la ville sur ces questions. Le futur bassin naturel Thames Baths va voir le jour grâce à une campagne de crowdfunding réussie, le King’s Cross Pond Club a été inauguré récemment et offre un espace de baignade naturelle au sein du chantier King’s Cross, et les Royal Docks à l’est de la ville ont été nouvellement ouverts à la baignade. Idem à Berlin, où une agence d’architecture projette de transformer l’un des bras de la Spree bordant l’île des musées en piscine naturelle. On pourrait aussi citer l’exemple de Bruges où, dans le cadre de la triennale, un architecte japonais a construit un module flottant, le Canal Swimmer’s Club, sur l’un des canaux de la ville et où la baignade est autorisée le week-end. Ce qu’on observe au Laboratoire, c’est que l’aménagement de bassins ou d’équipements ce type devient de plus en plus un enjeu de marketing urbain. Il permet à la municipalité de valoriser ses efforts en matière de prise en compte de l’environnement ou de prouver le dynamisme de sa ville. L’idée selon nous est d’aller au-delà du projet vitrine, et de favoriser un rapport plus quotidien avec l’eau.

baignade à Amsterdam en 2012 - crédit : Laboratoire des baignades urbaines expérimentales

baignade à Amsterdam en 2012 – crédit : Laboratoire des baignades urbaines expérimentales

Quelles activités le Laboratoire développe-t-il pour favoriser un tel rapport ?

PM. Nous recensons les projets intéressants sur notre page Facebook et notre compte Twitter. Un site Internet est également en cours d’élaboration, il sera vraisemblablement en ligne en septembre et comportera une sorte de manifeste pour expliquer un peu l’esprit de nos actions et de nos revendications. Nous élaborons aussi une cartographie collaborative qui permettra de recenser les points de baignade intéressants à travers le monde. De notre côté on pense qu’il y a un fort pouvoir de montrer des photos et de révéler le potentiel d’un lieu, que ça donne envie aux gens. Par ailleurs, les gens nous sollicitent de plus en plus pour organiser des événements, ce qui n’était pas du tout la vocation originelle du Laboratoire. Si nous organisons des baignades sur le bassin de La Villette à Paris, c’est surtout pour démontrer les capacités de baignade d’un espace comme celui-là, qui sont très nombreux en France. La force des images et de les réactions spontanées qu’elles produisent nous permet ensuite de remettre en cause l’interdiction de se baigner actuellement en vigueur en France. On essaie de démontrer qu’un meilleur rapport à la nature en ville est bénéfique pour tous, et surtout que ça va dans le sens des directives européennes sur la qualité de l’eau, d’où la nécessité de réinterroger cet interdit (il date de 1923 !) pour faire évoluer les choses. Surtout, on voit bien que c’est aussi une question culturelle, puisqu’il n’existe pas de telles interdictions en Suisse ou dans les pays nordiques par exemple.

De fait, quels sont les obstacles à la baignade urbaine ?

PM. Outre l’interdiction que je viens de mentionner, ces obstacles sont évidemment liés à la qualité de l’eau. Un effort conséquent a été entrepris dans ce sens au cours des vingt dernières années. La Seine est à son niveau le plus propre depuis trente ans ! Pourtant, quand nous nous baignons, on nous interpelle souvent pour nous dire : « arrêtez, c’est dégueulasse ! ». Il faut faire évoluer les mentalités et les représentations, pour montrer que l’eau n’est pas si sale. Surtout, si l’on arrivait à créer quelques poches de baignade, comme sur le bassin de la Villette, les gens feraient sans doute plus attention à ne pas jeter leurs canettes vides et leurs mégots dans l’eau. Au Labo, nous sommes convaincus que les aspects techniques (comme la surveillance des baigneurs) et environnementaux peuvent se régler très facilement à partir du moment où la volonté politique existe. Les projets les plus aboutis ont été réalisés parce que les élus ne sont pas arrêtés aux seules annonces, comme l’a fait Jacques Chirac en 1988, et ont entrepris de réels changements.

A cet égard, comment la situation évolue-t-elle à Paris depuis l’arrivée d’Anne Hidalgo ?

PM. La nouvelle municipalité semble plus volontariste. Anne Hidalgo a déclaré récemment qu’elle souhaitait voir l’épreuve de triathlon des JO en 2024 se dérouler dans la Seine. Son équipe a également sorti en juin un plan de baignade (http://www.paris.fr/actualites/un-plan-ambitieux-pour-la-nage-a-paris-2455), qui envisage notamment qu’on puisse se baigner dans le lac Daumesnil, ou au Bassin de la Villette et aux abords du parc André Citroen via des bassins flottants. On a aussi quelques échos en off provenant de la mairie où apparemment l’épisode de canicule de juillet permettrait de faire accélérer la réalisation de certains projet qui bloquaient jusqu’à là.

Comment expliquez-vous cet intérêt nouveau des pouvoirs publics pour les baignades urbaines ?

PM. Les épisodes de canicule font forcément évoluer la perception des pouvoirs publics quant aux problèmes liés au changement climatique. Ils commencent à se dire qu’ils vont être amenés à gérer prochainement et relativement souvent de gros pics de chaleur, et qu’il va bien leur falloir offrir un meilleur accès à la fraîcheur. En ce sens, la canicule est un bon accélérateur car elle confronte les pouvoirs publics à une situation qui pourrait devenir banale pour les générations prochaines. Aussi, c’est une juste retour en arrière car il y a encore 60 ans, les espaces de baignade en ville étaient légion. Dans une perspective générale de transition vers des villes plus durables, la baignade urbaine nous paraît donc en être un excellent étendard.